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HITZA PITZ Allande Socarros

GOGOETA ASKEAK - PENSÉES LIBRES “Parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre.” Georges Orwell

Le retour de la stratégie de la rupture

24 janvier 2000

 

Le samedi 15 janvier, Bilbao, capitale de la province de Bizkaia et plus grande ville du Pays Basque, a été le théâtre d'une grande première: une manifestation bicéphale ! Derrière le mot d'ordre commun "Euskal Herriak du hitza eta erabakia" (Au Pays Basque [revient] la parole et la décision), environ 60.000 personnes sont descendues dans la rue, à l'appel des partis nationalistes EAJ (démocrates chrétiens) EA (sociaux-démocrates) et de la coalition de la gauche abertzale (nationaliste) EH ainsi que du mouvement IU-EB composé de transfuges du Parti Communiste, du Parti Socialiste et de l'extrême gauche.

 

L'unité revendicative s'est en fait limité à cette seule formule et encore deux lectures fort différentes en ont-elles été faites. D'un coté, les partis de gouvernement de la Communauté Autonome Basque, soit EAJ et EA, ainsi que IU-EB ou encore le mouvement social pour le dialogue Elkarri ont voulu descendre dans la rue pour exprimer 5 revendications: exiger des gouvernements de Madrid et de Paris qu'ils respectent les droits les plus élémentaires des prisonniers basques mais aussi qu'ils se décident à tenir compte des aspirations majoritaires du peuple basque, demander aux partis politiques basques qu'ils s'efforcent de promouvoir le dialogue et la concertation, engager la société basque à participer à un processus de paix et de concorde civile et, enfin, réclamer à ETA la remise en vigueur de la trêve des actions armées. C'est en fait ce dernier point qui a conduit à la division un rassemblement qui, au départ, se voulait unitaire.

 

Un soutien inconditionnel à ETA et à sa stratégie

Euskal Herritarrok (EH), en effet, n'a pas accepté que les revendications de la manifestation du 15 janvier incluent cette exigence envers ETA. Le raisonnement qui sous-tend une telle position est le suivant: c'est lorsque les motifs politiques qui ont fait naître la lutte armée auront disparus que ETA n'aura plus de raison d'être et donc, aussi longtemps que la situation n'est pas celle là, il n'est pas légitime d'exiger de l'organisation clandestine qu'elle dépose unilatéralement les armes. Une dialectique bien commode qui, en fait, dissimule une autre réalité, à savoir le soutien inconditionnel que certains secteurs de la gauche abertzale proclament - et exigent - envers ETA.

 

Partant de là, toutes les initiatives et actions politiques qui s'inscrivent dans un processus de lutte "dure" contre les Etats espagnols et français, comme, par exemple, le soutien à la grève de la faim des prisonniers politiques basques ou encore l'appel au boycott des élections législatives espagnoles du 12 mars prochain, sont validées comme "nationalistement correctes" et tous autres moyens que préconiseraient les autres composantes abertzale ne sont pas estampillés comme tels. Bien que EH et sa composante très majoritaire Herri Batasuna s'en défendent, ils sont bien les relais politiques légaux de ETA et de sa stratégie de la tension, qui se fonde sur la prééminence de la lutte armée. Pour eux, pour les secteurs dirigeants en tous cas, s'écarter, même un tant soi peu, de cette stratégie là est inconcevable, à partir du moment où ETA a décidé d'être à nouveau au coeur de la problématique politique en décidant de rompre la trêve.

 

Une décision mis en application le 21 janvier 2000 avec un double attentat à la voiture piégée à Madrid, coûtant la vie à un officier de l'armée espagnole et occasionnant des blessures légères à une passante. Cette action, qui bien que non revendiquée ce jour (21 janvier), est très certainement à mettre sur le compte de ETA, a entraîné de facto une rupture dans le processus de stratégie politique unitaire du mouvement nationaliste en Pays Basque sud, entamé en septembre 1998 avec l'accord de Lizarra-Garazi.

 

Une majorité parlementaire conditionnelle

Le président du gouvernement de la Communauté Autonome Basque, Juan-Jose Ibarretxe, dont l'autorité s'exerce sur les 3 provinces d'Araba, Bizkaia et Gipuzkoa, a, dès l'annonce de l'attentat, pris la décision de rompre l'accord de législature conclu en mai 1999 avec EH. Selon cet accord de collaboration parlementaire, la coalition de la gauche abertzale ne participait pas au gouvernement, composé uniquement de nationalistes de EAJ et de EA, mais assurait celui-ci de son soutien, pour garantir une majorité abertzale au Parlement Basque, face aux élus succursalistes des partis espagnols (Partido Popular - PP et Partido Socialista Obrero Español / Partido Socialista de Euskadi -PSOE / PSE) et aux pseudo-régionalistes de la province d'Araba (Unidad Alavesa - UA).

 

Sans avoir à faire un effort d'analyse démesuré, on pouvait se rendre compte que, avec cet accord de législature, la ligne de conduite adopté par EH était la suivante: je ne soutient que ce qui me convient et je ne me commet pas dans des décisions gouvernementales qui n'aurait pas l'agrément de ETA ou qui pourrait heurter ma base électorale la plus intransigeante. En d'autre termes: un pied dedans, un pied dehors et la possibilité de faire une pression constante sur le gouvernement EAJ - EA, avec cette majorité parlementaire tout à fait conditionnelle. En adoptant cette position, EH, en outre, restait fidèle à un credo tenace selon lequel la voie institutionnelle doit toujours être un prolongement fidèle de la mobilisation populaire, des mouvements sociaux et, en fait, leur être subordonnée. Un principe qui, pour séduisant qu'il puisse paraître de prime abord, ôté en fait toute possibilité d'initiative, toute prétention d'autonomie à des élus et à des institutions, considérés comme simples courroies de transmission.

 

Le "militaire" reprend le pas sur le "politique"

Exit donc, l'alliance conjoncturelle pour une majorité abertzale. Le Lehendakari (président) Ibarretxe a exigé de EH qu'il condamne l'attentat de Madrid s'il voulait la réintégrer mais, en disant cela, il n'avait sans doute pas grande illusion. En effet, il est manifeste que l'axe ETA - Herri Batasuna - Euskal Herritarrok et les structures ou associations qui gravitent autour, sont aujourd'hui revenus - si tant est qu'ils l'aient jamais quittée - à une stratégie de rupture avec Madrid, à une phase de confrontation dure, où la lutte armée redevient la pierre angulaire. C'est à nouveau le "militaire" qui prend le pas sur le "politique". ETA est décidé à être derechef au centre du contentieux Etat espagnol - Pays Basque et tient à démontrer qu'aucune avancée ne se fera sans son assentiment, qu'aucune solution politique ne pourra être viable sans que l'organisation ne lui donne son aval. Avant le lancement du mouvement de grève de la faim des prisonniers politiques, avant l'annonce de la fin de la trêve, avant la manifestation à deux voix discordantes de Bilbao, avant l'attentat de Madrid et les tentatives avortées qui l'ont précédé, un autre signe avait montré que le climat politique était en train de se durcir: la décision de EH de boycotter les élections au Parlement espagnol qui auront lieu le 12 mars. Là encore, on retrouve le postulat dur selon lequel il n'y a rien à attendre de la participation aux institutions de l'ennemi, synonyme au mieux de perte de temps, au pire de compromission. Pour EH, le "boycott actif" des élections du 12 mars est une démarche certes plus rupturiste que la participation mais - et ceci est moins avouable - elle est surtout plus en phase avec le retour à une stratégie de rupture, où la lutte armée joue un rôle de premier plan.

 

Une page à peine écrite et sitôt tournée

Sans vouloir tirer une conclusion définitive et en espérant se tromper, il semble bien qu'une page se soit à nouveau tournée en Pays Basque Sud, celle où il commençait à être écrit que les forces abertzale pouvaient faire front pour mettre à mal l'attitude obstinée de Madrid à ne pas reconnaître un droit imprescriptible: celui du peuple basque à l'autodétermination. Sans doute, les responsabilités qui nous ramèneraient à une situation d'avant l'accord de Lizarra-Garazi seraient-elles partagées, avec par exemple des blocages et certaine pusillanimité du coté des partis nationalistes dits "modérés", mais on retiendrait surtout que la gauche abertzale n'aura pas su, voulu ou pu se poser la question de la place et du rôle de la violence clandestine dans un processus de lutte de libération.

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