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HITZA PITZ Allande Socarros

GOGOETA ASKEAK - PENSÉES LIBRES “Parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre.” Georges Orwell

De la coercition à la langue de bois

15 février 2000

La langue de bois a toujours été le moyen le plus usité, sinon le seul, pour transformer un échec patent en grande victoire. Un nouvel exemple nous en a été donné au lendemain du jeudi 27 Janvier, jour de la grève générale appelée par la coalition de la gauche abertzale (nationaliste) Euskal Herritarrok (EH), en soutien aux prisonniers politiques basques. Ceux-ci poursuivent une grève de la faim pour réclamer que soit mis un terme à la politique de dispersion mise en oeuvre par les autorités gouvernementales espagnoles et pour obtenir qu'ils soient rapatriés vers les prisons situées en Pays Basque. Une forme de lutte qui a conduit beaucoup d'entre eux à l'hôpital. Certains ont même dû cesser leur action pour éviter des séquelles irréversibles mais ont aussitôt été remplacés par d'autres détenus politiques.

 

Euskal Herritarrok avait donc appelé les travailleurs et le reste de ce que l'on appelle de nos jours "la société civile" des 4 provinces du Pays Basque Sud (Araba, Bizkaia, Gipuzkoa, Nafarroa) à cesser le travail et à se mobiliser en soutien à la lutte des prisonniers politiques. Une initiative unilatérale, en contradiction avec ce qui se faisait ces derniers mois, durant la trêve observée par ETA. Visiblement, Euskal Herritarrok a, là encore, relayé sur le terrain politique légal une décision relevant d'une stratégie élaborée sous l'impulsion, voire la pression, des structures clandestines. Le syndicat des travailleurs abertzale (LAB) a suivi le mouvement mais il est légitime de se demander s'il avait une quelconque autre alternative...

 

Une adhésion aux forceps

La grève générale était donc le fait d'Euskal Herritarrok... mais les autres organisations étaient aimablement priés d'y adhérer. Quoique, "aimablement" n'est pas vraiment le terme qui convient le mieux pour décrire une situation et des comportements qui ne datent pas d'aujourd'hui... Car, dans des villes ou des quartiers où la gauche abertzale - version Euskal Herritarrok ou Herri Batasuna, s'entend - a ses habitudes, il était très malvenu de ne pas manifester son soutien enthousiaste à la journée de grève générale! Les piquets de grève prenaient le visage de bandes de jeunes, plus ou moins excités, qui sillonnaient les rues afin de s'assurer que l'appel de EH était entendu. Les commerçants qui avaient eu le mauvais goût de ne pas avoir fermé boutique étaient gentiment priés de se conformer au mot d'ordre, sauf à subir quelques dommages et désagréments.

 

Le ton que j'emploie est certes ironique mais mon sentiment est celui de la révolte. Je ne conçois pas, même pour les causes les plus justes et les situations les plus dramatiques - comme peut l'être la condition des prisonniers politiques basques - que la coercition remplace la discussion et la persuasion.

 

 
 

Une violence improductive

La responsabilité de ce genre de procédés anti-démocratiques se situe clairement au niveau des stratèges politiques officiels et officieux, de EH et de ETA pour être plus précis. En effet, aussi bien lors des années d'affrontement frontal entre la gauche abertzale et les nationalistes basques qualifiés au mieux de réformistes, que durant la période de 14 mois qu'a duré la dernière trêve de ETA, la pratique de la kale borroka (que l'on peut traduire par guérilla urbaine) est toujours restée une arme en activité. Les responsables politiques de Herri Batasuna et de Euskal Herritarrok n'ont jamais sinon condamné tout au moins critiqué ces agissements. Il est clair que la kale borroka leur servait et leur sert toujours de moyen de pression envers les pouvoirs politiques basques et espagnols. On peut se demander toutefois si cela ne s'est pas rapidement transformé en machine infernale qui, bien souvent, échappe à leur contrôle, pour cause de vacuité abyssale de réflexion politique dans ces milieux réellement fanatisés.

 

Les moyens coercitifs mis en oeuvre n'ont cependant pas produit les résultats escomptés. En Gipuzkoa la grève a certes été largement suivie dans les milieux commerçants (en partie pour les raisons que j'ai évoquées) et dans l'enseignement, mais très peu dans le secteur industriel, les services et les diverses administrations. En Araba, Bizkaia et Nafarroa, peu ou prou même constat, avec cette différence que les pressions moindres exercées sur les milieux commerçants ont conduit à une moindre participation de leur part. Les rassemblements organisés dans différentes localités n'ont pas davantage mobilisés la population basque. En fait, il n'y a que dans l'enseignement et particulièrement chez les élèves que la journée de grève générale peut être qualifié de succès.

 

En regard du but recherché et des ambitions affichées, cette journée du 27 Janvier est donc, objectivement, à considérer comme un échec. Ce n'est pas pour autant qu'il faut s'en réjouir car les prisonniers, du fond des cellules où ils croupissent, seront les premiers à en subir les contre-coups, ne serait-ce que du seul point de vue du moral.

 

Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais...

Néanmoins, si les prisonniers politiques n'ont eu de la journée du 27 Janvier que l'écho du bilan tiré par Arnaldo Otegi, porte-parole de Euskal Herritarrok, ils n'auront eu que motif à se réjouir. Selon Otegi, "l'appel à la grève a connu un large retentissement des milliers de personnes se sont mobilisées pour la défense de la dignité et des aspirations du peuple basque". Le porte-parole de EH n'hésitait pas dès lors à conclure que "ce jour nous donne matière à nous réjouir car on a pu mesurer la détermination politique de la société basque à faire face à l'obstination et à la négation de nos droits par les Etats espagnols et français". Conscient peut-être que le "succès" était pour le moins en demi-teinte, Otegi ajoutait toutefois à l'adresse des partis politiques et des organisations qui n'avaient pas appelé à la grève: "nous les engageons à réfléchir et à favoriser le travail en concertation; la dynamique en faveur des aspirations du peuple basque et des droits des prisonniers politiques doit s'amplifier et, pour notre part, nous sommes disposés à participer à des initiatives communes". Il aurait fallu, pour commencer, que EH s'applique à lui même ces si louables recommandations...

 

Arnaldo Otegi fait partie de cette jeune génération de dirigeants de Herri Batasuna et Euskal Herritarrok qui est apparue sur le devant de la scène lorsque le pouvoir espagnol a fait embastiller, en 1998, toute la direction de HB, au motif que la coalition de la gauche abertzale avait diffusé publiquement une cassette vidéo de ETA présentant les points d'une "alternative démocratique ". Une mesure répressive sans précédent dans une démocratie formelle, légitimement condamnée par les diverses instances internationales des droits de l'homme.

 

Un questionnement nécessaire

Les dirigeants antérieurs de Herri Batasuna étaient connus pour leur aptitude remarquable à manier la langue de bois mais il s'avère que la génération qui les a remplacé ne leur cède en rien sur ce terrain. L'intransigeance, le raidissement face à la critique ou au questionnement venues du dehors et un certain sentiment d'être les détenteurs de la seule vérité qui vaille sont aussi des comportements que l'on retrouve d'une génération sur l'autre. Il n'est donc pas étonnant qu'un nombre non négligeable de personnes aient déserté le militantisme au sein de cette gauche abertzale, même si on peut compter sur elles pour les mobilisations qui ne souffrent aucune contestation quand à leur légitimité.

 

Alors qu'en est-il de l'avenir pour la gauche abertzale et pour son rôle prépondérant dans le processus d'autodétermination du peuple basque et d'exercice de tous ses droits ? Il en sera selon sa capacité à s'inscrire dans le fonctionnement démocratique, à bannir toute attitude dogmatique et toute initiative unilatérale et à renoncer à sa prétention de parler au nom de l'ensemble du peuple basque.

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