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HITZA PITZ Allande Socarros

GOGOETA ASKEAK - PENSÉES LIBRES “Parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre.” Georges Orwell

Revendication d'un département basque : à contresens de l'Histoire

Jeudi 1er juin 2000

 

Le 3 juin, tous les supporters du département basque sont conviés à converger vers Cintegabelle, modeste chef-lieu de canton de Haute-Garonne qui tire une notoriété dont il se serait bien passé, du fait que son conseiller général est un certain Lionel Jospin. Du coup, tout ce que la France et ses possessions hexagonales comptent de contestataires de la politique parisienne se donnent rendez-vous dans ladite localité, au grand dam des élites municipales du cru.

 

C'est dire que l'organisation d'un rassemblement à Cintegabelle pour réclamer la création d'un département de Pays Basque, par la scission de celui des Pyrénées Atlantiques qui englobe aussi le Béarn, n'est pas vraiment frappé au coin de l'originalité. Ce qui devrait cependant distinguer la manifestation basque à Cintegabelle de la masse des attroupements protestataires, c'est l'affluence numérique, fruit d'une campagne de propagande soutenue, largement relayée par les moyens de communications.

 

Il faut dire aussi que la revendication de la création d'un département basque bénéficie d'un oecuménisme rarement atteint dans l'histoire de la lutte politique identitaire basque. En effet, du RPR bon teint Max Brisson aux nationalistes de gauche d'Abertzaleen Batasuna (Unité Abertzale), en passant par les centristes plus ou moins basquisants, les maigres effectifs des Verts et quelques élus du PS qui n'en sont pas à une contradiction près, une coalition hétéroclite s'est formée autour de ce qu'il faut bien appeler un plus petit commun dénominateur possible. A cette cohorte disparate de politiques s'est ajouté une large majorité de socio-professionnels qui, eux, voient d'un bon oeil la création du département basque pour des raisons de rationalisme économique.

 

Intérêts divergents mais pensée unique

Cette véritable union sacrée, ce frontisme pro-département est l'arbre au large tronc qui masque la forêt des contradictions. On m'objectera sans doute - du coté abertzale s'entend - que ce sont des contrastes et des divergences de vue tout à fait intégrés et que ce qui se passe aujourd'hui relève de la pure tactique politique, que nul n'est dupe des aspirations des uns et des autres. Ce n'est donc même pas une communauté d'intérêts, juste une alliance de façade, un trompe l'oeil derrière lequel chacun met ce qui veut. Département basque serait donc la formule magique qui ferait marcher d'un même pas les adeptes stricts de ce cadre institutionnel de pure essence jacobine et les défenseurs d'un droit fondamental continuellement bafoué par ce même jacobinisme: celui des peuples à l'autodétermination. Sans oublier les tenants d'une simple lecture économique qui eux seront toujours du côté où va le vent de l'histoire.

 

Donc, en se plaçant du point de vue des abertzale engagés dans la revendication pro-département, les enjeux actuels sont purement conjoncturels et n'aliènent en rien l'objectif à terme d'un Pays Basque rétabli dans la plénitude de ses droits, maître des ses choix et de sa destinée, faisant entendre, sans tutelle, sa voix dans le concert des nations libres. Fort bien. Mais alors, pourquoi la situation actuelle au sein du mouvement abertzale est-elle celle d'une pensée unique quasi-institutionnalisée?

 

Vacuité politique et néant idéologique

Aujourd'hui, dans la mouvance nationaliste de gauche, celle tout au moins qui est structurée autour d'Abertzaleen Batasuna, le débat idéologique, la confrontation des idées sont complètement mis sous l'éteignoir. En conséquence, la réflexion politique, la production des idées, l'analyse des éléments de situation se trouvent dans un vide abyssal. Les réponses abertzale aux problèmes vécus par le Pays Basque nord, les propositions alternatives à la politique made in Paris ou Bruxelles sont présentement quasi-inexistantes. Le mouvement abertzale de gauche n'est même plus ce laboratoire d'idées, pillées sans vergogne et détournées de leur finalité par les adversaires politiques. Alors, quant à en être le réalisateur...

 

Cette vacuité politique, ce néant idéologique n'est pas préjudiciable pour tout le monde. Les abertzale - ou qui se disent en tous cas tels - adeptes de la politique de l'entrisme, ceux qui sous prétexte de petits pas marchent main dans la main avec l'administration étatique, les technocrates et les élus succursalistes des partis français sont pour leur part satisfaits de la tournure des événements. Les empêcheurs de manigancer en rond, ces abertzale de gauche qui leur renvoyaient l'image de leur inaptitude se retrouvent à leur coté, exprimant la même revendication à minima.

 

Le vieille antienne du Parti Nationaliste Basque: "construisons d'abord la maison; pour la couleur des murs, on verra après" retrouve en outre une seconde jeunesse. Il est tout à fait ahurissant mais malheureusement significatif d'entendre aujourd'hui ce discours dans la bouche de ceux là même qui vilipendaient hier d'autres abertzale de gauche insuffisamment "rupturistes" à leur goût et donnaient des leçons de morale révolutionnaire à tous le monde.

 

Une reconnaissance à minima frappé d'obsolescence

La revendication d'un département basque n'est pas en soi une idée saugrenue. On peut considérer à juste titre qu'un minimum de reconnaissance juridico-institutionnelle est mieux que le rien du tout. Car le Pays Basque sous tutelle de l'Etat Français n'existe que comme destination touristique dans les prospectus d'Office de Tourisme ou les catalogues de tours-opérateurs ou bien que comme sujet d'étude pour les ethnologues de tout poil. Mais hormis ces cas de figure, le Pays Basque n'existe point. Un département serait donc une reconnaissance institutionnelle minimum.

 

Certes, le minimum est mieux que le rien, mais réclamer le département n'est pas vraiment s'inscrire dans le cours de l'histoire. Car cette structure administrative n'a pas, à mon sens, un grand devenir. Il est un jalon de l'Histoire de France condamné à moyen terme par les évolutions institutionnelles qui, inéluctablement, doivent conduire à une Europe politique fédérale ou, mieux encore, confédérale. Dans cette perspective, le département apparaît comme une structure administrative obsolète, dernier rempart d'un jacobinisme aux abois. Si dans ce nouveau cadre le rapport de force pourrait être sensiblement plus favorable au mouvement abertzale, toute évolution concrète vers plus de prise en charge et de responsabilités y serait impossible.

 

Agir sur le présent, façonner l'avenir

Cependant, la raison majeure d'une défiance à la revendication du département basque est, pour moi, le fait que je ne conçoive pas que cela soit devenu l'objectif politique numéro un pour le mouvement abertzale de gauche. J'y vois là une régression flagrante et une irresponsabilité politique effarante. On dirait que plus de 30 ans d'existence, d'influence et de travail du mouvement abertzale n'ont servi à rien. Que ses apports théoriques, ses idées, ses luttes, ses réalisations n'étaient que pures foucades de jeunesse. Qu'il lui faut aujourd'hui rentrer dans la normalité d'une action politique policée, dans le moule de la respectabilité et des convenances.

 

Pour moi, être abertzale, c'est certes agir sur le présent, en phase avec la réalité socio-politique du Pays Basque nord, mais c'est aussi se projeter dans l'avenir, préparer le terrain pour les évolutions nécessaires, apporter ses réponses aux interrogations du futur. Le mouvement abertzale doit être, de mon point de vue, un découvreur d'horizons nouveaux pour aller vers une société tout simplement plus juste, un défricheur de terres en jachère pour élargir le champ des solidarités et non pas un appoint ou, pire, un alibi pour les forces et les concepts du passé. Voilà pourquoi je ne serais pas de l'excursion à Cintegabelle.

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